Les néo-ritualisations n'ont guère été des sujets d'étude en Australie. Les raisons en sont multiples et complexes. Situation coloniale très distincte de celles retrouvées en Mélanésie, par exemple, confessions missionnaires hétérogènes avec un taux de conversion religieuse très inégal, sociétés peu hiérarchisées, domination occidentale étouffante, autonomie économique réduite pour ne pas dire absente etc., sont parmi les raisons qui ont limité en Australie l'émergence de ritualisations collectives annonçant ou se proclamant d'un ordre nouveau et traditionnel à la fois. Néanmoins, si le domaine des néo-ritualisations concerne la mise en scène de règles, normes et valeurs auxquelles adhère une collectivité et dont l'une des caractéristiques essentielles est la recherche d'une authenticité culturelle, l'Australie n'en est pourtant pas dépourvue. Ce qui démarque le cas australiens est que les acteurs de cette néo-ritualisation et de la définition d'authenticités ne se limitent pas au monde autochtone ; et c'est peut-être une raison supplémentaire à la négligence des sciences sociales par rapport à ces phénomènes. Les néo-ritualisations y paraissent encore plus artificielles et encore moins exotiques qu'ailleurs. Le cas que nous nous proposons de discuter relève d'une situation particulière, car il n'émane pas (seulement) d'une action autochtone mais est pour l'essentiel le produit obligé d'un cadre législatif normé ; celui qui permet à une collectivité autochtone d'entamer la récupération d'une de leurs assises matérielles d'existence : le foncier. Mais rappelons que pouvoir revendiquer du foncier est synonyme d'une autorisation à exister tout court. Être ou ne pas être, c'est la propriété foncière qui en « décidera ». Le cas est particulier également, car l'invention de structures et d'organisations sociales dites traditionnelles dans ce cadre législatif ne reflète pas seulement le besoin d'un groupe tentant de se situer par le biais d'une coutume dans un espace modernisé, mais implique la collaboration, pour ne pas dire la complicité, d'acteurs dont l'appartenance sociale dépasse la sphère de contrôle autochtone. Aborigènes, anthropologues et juristes adaptent, voire inventent des organisations sociales dites « traditionnelles » dans le but de les faire concorder avec des exigences législatives. Notre exposé reconstruira brièvement l'historique de ce contexte juridico-politique et en illustrera les conséquences par l'examen d'un cas récent (2007-2008) de litiges dans le Désert de l'Ouest. Conscient que l'exemple australien, et celui du Désert de l'Ouest en particulier, ne répond pas aux caractères observés dans les néo-ritualisation Mélanésiennes par exemple, nous avançons qu'il constitue néanmoins un cadre de ritualisation nouvelle dans lequel l'État et ses instances sont devenus des acteurs intégraux, où les juges deviennent des maîtres des cérémonies et où le tribunal fonctionne comme l'espace de mise en scène par excellence de l'expression culturelle ritualisée. En Australie, l'authenticité culturelle — qu'elle soit traditionnelle ou réinventée n'importe peu ici — ne peut faire l'impasse du passage obligatoire par le tribunal afin de se justifier. La néo-ritualisation atteint ici son sommet pragmatique en privilégiant les objectifs au détriment d'une réalité ethnographique.

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