Bibl. Éc. Chartes (1913) Boinet, Denis, Ligier Richier

De Wicri Arts

Ligier Richier. L'artiste et son œuvre


 
 

Titre
Ligier Richier. L'artiste et son œuvre
Auteur
Amédée Boinet
Dans
Bibliothèque de l'École des chartes no 74, 1913, p. 166-167,
Version en ligne
sur le site Persée

Cette page introduit une critique bibliographique rédigée en 1913 par Amédée Boinet à propos d'un ouvrage de Paul Denis sur Ligier Richier.

Deux œuvres de Ligier Richier citées dans cet article

Cette iconographie a été ajoutée dans l'édition numérique et ne fait pas partie de l'article initial.

Statue du tombeau de René de Chalon, le „Squelette“, attribué à Ligier Richier, vers 1550, Centre Pompidou, Metz, France.
Mise au Tombeau (ou Saint Sépulcre) par Ligier Richier. Eglise Saint-Etienne à Saint-Mihiel.

La critique bibliographique

Paul DENIS. Ligier Richier. L'artiste et son œuvre. Nancy et Paris Berger-Levrault 1911. In-4°, 426 pages, 51 planches et 44 gravures.

M. P. Denis vient de consacrer une monographie critique, résultat de longues et minutieuses recherches, à l'un des plus grands sculpteurs du XVIe siècle français. Il y a lieu de le féliciter d'avoir étudié d'une façon aussi complète la vie et l'œuvre du maître lorrain Ligier Richier. Beaucoup de légendes se sont créées autour du nom de cet artiste et bien des attributions peu justifiées ont été proposées en ce qui concerne son œuvre. Il était donc utile avant tout de remettre les choses au point. Ainsi Ligier Richier n'est pas né de parents calvinistes comme le voulait Dom Calmet et il n'a jamais été l'élève de Michel-Ange.

Après avoir retracé, autant qu'il est possible de le faire, la vie du sculpteur né à Saint-Mihiel vers 1500, M. Denis donne un aperçu de l'histoire de l'art en Lorraine au XVe siècle et au début du XVIe. Parmi les prédécesseurs de Richier, il y a lieu de citer surtout Gérard Jacquemin, Jean Crocq et Mansuy Gauvain, ce dernier étant l'auteur de la célèbre Vierge de Notre-Dame de Bon-Secours à Nancy. La première œuvre qui puisse, avec les plus grandes chances de certitude, être rattachée à l'atelier du maître sanmiellois est le retable d'Hattonchâtel, daté de 1523 ; puis viendraient le calvaire de Génicourt, les crucifix de Notre-Dame et de Saint-Pierre de Bar-le-Duc la fameuse Pieta d'Étain (1528) et le calvaire de Briey (1533-1534), qui montre une recherche du drame et une exaltation dans la douleur très accentuées.

Parmi les œuvres funéraires se place au premier plan le célèbre « squelette de Bar », qui représente René de Chalon († 1544) à demi décharné. Il faut à tout jamais rejeter la légende qui veut que le mourant ait demandé « qu'on fit sa portraicture fidèle, non pas comme il étoit au moment de sa mort, mais comme il seroit trois ans après son trépas ». Ligier Richier dû traduire ici quelques versets du livre de Job et vouloir symboliser, dans cette figure d'un caractère si macabre, la résurrection. L'Église des Cordeliers de Nancy renferme l'admirable effigie de « [[A pour personnalité citée » contient un caractère désigné « [ » dans un libellé de propriété, et a été classé conséquemment comme non valide. (1548 environ), provenant du couvent des Clarisses de Pont-à-Mousson, dans laquelle le sculpteur, pour donner une apparence de vérité plus impressionnante, a eu recours à l'emploi de l'encaustique et de matériaux diversement colorés.

L'œuvre qui fait le plus de gloire à Ligier Richier est le Sépulcre de l'église Saint-Étienne à Saint-Mihiel (entre 1554 et 1564). On n'a aucun document précis, aucun renseignement sur ses origines et son histoire, mais la longue tradition qui le donne au maître lorrain est des plus vraisemblables et peut se justifier amplement. Par certains détails iconographiques, l'ensemble mériterait de nous arrêter longuement. Disons seulement que la présence des deux soldats jouant aux dés sur un tambour la robe du Christ est une nouveauté dans une Mise au tombeau, ce motif n'apparaissant que dans les Crucifixions. Au point de vue du style, ce Sépulcre est d'une harmonie et d'une pondération parfaites. Il y règne un calme et un recueillement qui impressionnent profondément. On pourra sans doute reprocher au sculpteur d'avoir donné à son Christ une expression un peu molle et d'avoir poussé trop loin dans les autres figures la recherche du parfait et de l'élégance, d'avoir affadi ses modèles, mais il faut cependant reconnaître que nous sommes là en présence d'une des compositions les plus belles de l'art français du XVIe siècle. Ce fut sans doute la dernière œuvre de l'artiste qui s'expatria peu après à Genève, où il mourut en 1566 ou 1567.

Si on veut résumer les caractères généraux de l'art de Richier, on peut dire qu'au cours de sa carrière féconde, il resta pour ainsi dire toujours fidèle aux traditions du moyen âge, à celles de ses prédécesseurs, tels les Gauvain et les Crock. Malgré l'époque où il a vécu, l'italianisme n'eut que très peu d'influence sur son tempérament. L'art de la Renaissance se manifesta chez lui plutôt par reflet, « par une recherche plus accentuée de la régularité des traits, de l'élégance et de la symétrie des gestes, par un idéal de beauté un peu molle qui finit par affadir sensiblement ses figures ». Il devint, vers la fin de sa vie, maniéré plutôt qu'italianisé. La plupart de ses œuvres se distinguent de celles qui sont nées en Lorraine avant son apparition par une originalité marquée, une expression des plus vivantes et une puissance de rendu très accentuée. « Si variés que soient ses travaux, il ne leur arrive jamais de démentir l'unité d'inspiration et des principes. Richier a su jusqu'au bout garder la correction de son dessin, la sincérité de ses gestes, le réalisme adouci de ses physionomies, le bon goût et la simplicité de ses draperies ». Ce fut véritablement un maître bien français.

A. BOINET



Iconographie complémentaire

Les soldats jouant aux dés
statue de Notre Dame de Bonsecours sculptée en 1505 par Mansuy Gauvin

Voir aussi

Dans le réseau Wicri :

La page de référence « Bibl. Éc. Chartes (1913) Boinet, Denis, Ligier Richier » est sur le wiki Wicri/Lorraine.