Description de l'Égypte (1935) Maillet, Le Mescrier/Lettre 9
Lettre neuvième, Histoire naturelle de l’Égypte
Où l'Auteur traite de la fertilité de ce pays, des Arbres, des Plantes, des Fleurs et des Fruits qu'il produit et des Animaux qui s'y rencontrent.
Sommaire
Histoire naturelle de l’Égypte
[1]
Vous m'avez demandé , Monsieur , une
description exacte et détaillée de tout ce
que produit l’Égypte. Les merveilles de l'art,
qu'elle contient plus qu'aucun autre pays
du monde, et dont je vous ai donné la
relation , n'ont point épuisé votre curiosité.
Satisfait sur cet article, vous voulez savoir encore si sous un ciel étranger, la nature produit aussi des prodiges ; c'est-à-dire , que vous exigez de moi une histoire
naturelle de l’Égypte. En me chargeant d'une pareille commission , y avez-vons bien penfé , Monfieur , & avez vous pris un
Consul de France pour un Pline, un Strabon , ou un Hero-*
dote î Occupés ici de foins abfolumcnt ditfércns de ceux qu'éxi-
geroiC de ir.oi un tel emploi, renfermés dans nos mairons,&:
obligés de nous en rapporcer fouvent à mille ignorans , qui pour
tout talent n'ont que celui de nous tromper , après s'être trom-
pés , ou avoir été trompés eux-mêmes , il cil difficile que nous
ayons des corinoiffancc-s bien parfaites des prodiidions rares &
extraordinaires, que fournit un pays auffi vafte que celui donc
j'ai entrepris devons entretenir. N'attendez donc point de moi-
fur cet article des dckriptions fort circonftanciécs. Mon def-
fèin eft uniquement de vous donner ui"te idée de ceque vous dé-'
fi' ez fçavolr. Contentez-vous de ce léger eflai , & fçachcz-mor
gié du moins de quelques connoiiTances que le tcms , l'application, et plusîeurs voyages m'ont fait acquérir.
[2]
De la fertilité de l’Égypte
(2c nc Tonc point des fables , Monfieur , que ce que les Anciens nous racontent de la rcrtilite de 1 bgypte. L état tlo- rilTant où nous voyons encore aujourd'hui ce riche pays, nous affure de la vérité des relations que les Auteurs^jous en ont laif- {écs. L'Egypte eft toujours de nos jours ce qu'elle étoit du tcms des Romains , lorfqu'on l'appelloit à plus jufle titre que la Si- cile , la mère nourrice de Rome , & qu'elle fourniflbit des bleds aux armées formidables qu'entretcnoit à fon fervice cette mal- trefl'c de l'Univers. 11 eft vrai que l'efpace cultivé n'a plus à prefcnt , à beaucoup près , la même étendue. La caufc d'une différence ii défavantageufe à cette faineulc région , nc vient point , comme je l'ai dit ailleurs , de la natiux toujours égale- ment libérale à l'égard de cet heureux climat. C'cft uniquement à la mauvaise politique des Turcs qu'on doit attribuer ce défor- dre. Le Gouvernement s'eft ajvifé de défendre la fortie des grains, de crainte vraifcmblablement que les étrangers n'en cnlevaiTent «^ en trop -grande quantité; .&: cette détenfe a produit un mal infi-
niment plus dangereux que celui qu'on a voulu éviter. Les Grands du pays qui poffédcnt toutes les terres , ont ccffè. de faire cultiver celles , qui étoient le plus éloignées du Fleuve , dès qu'ils n'ont plus eu la facilité de débiter leurs bleds au dehors. Dès- lors on n'a plus enfemencé que les campagnes les plus voifincs du Nil, parce qu'il n'en faut pas davantage pour fournir , tant à la conlommation qui fe tait dans rimcrieur du pays , qu'à la fubfiftance des villes de la Mecque &c de Mcdine , qui pcri= roient fans ce fecours.
De là il cil arrivé , comme vous devez l'avoir conçu , un autre inconvénient , qui n'eft pas moins défavantageux à l'E- gypte. En effet , les digues qui avoient été conftruites pour , empêcher les terres éloignées d'être couvertes par les fables , que le vent y porte fans ceffe de la Libye , n'étant plus entre- tenues , & les canaux deftinés à les arrofer ayant été abfolu- ment abandonnés , ces campagnes font devenues de véritables déferts. C'eft ce que l'onrcconnoît aifémcnt dans celles qui font les plus voLûnes d'ici ; c'cft-à-dirc , qui n'en font qu'à deux ou trois journées. De-là on peut inférer avec allez de raifan que ce qu'il y a de cultivé préfentement en Egypte n'arrive peut- être pas à la moitié de ce qui l'étoit autrefois. Mais on auroit
...
Des animaux que l'on voit en Égypte
Des oiseaux
Des abeilles
Des poissons
Des animaux domestiques et du prix des viandes
...
De l'hippopotame
L'ennemi le plus redoutable qu'aient les habitants de l’Égypte, et ceux qui comme eux vivent sous ce climat, est l'hippopotame.
Cet animal qui prend naissance dans l’Éthiopie, et dont la figure a certainement beaucoup plus de rapport à celle du bœuf qu'à celle du cheval , descendant par le Nil dans la haute Égypte , porte le ravage dans tous les lieux où il se jette. On ne saurait croire combien il est dangereux, et pernicieux aux biens de la terre , désolant les campagnes , et mangeant partout ou il passe les épics de bled, surtout des bleds de Turquie. Il étouffe les hommes avec ses jambes, qui font fort grosses et fort courtes ; et en boit feulement le sang. Ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est qu'il a la peau épaisse de deux doigts , et qu'il est d'autant plus difficile à tuer , qu'il n'a qu'un très petit endroit au front, où il puisse être blessé. Les Nubiens disent qu'il a la voix terrible , et fait trembler la terre lorsqu'il mugit.
Ils ajoutent qu'on n'en a jamais pris en vie. Des valets de cette nation , que j'ai chez moi , m'ont demandé une somme très considérable , pour m'en faire venir une peau qui est à Sannar, et que quatre chameaux peuvent porter à peine. Un homme debout dans le ventre de cet animal ne peut toucher avec la main le dos de la bête. Il y a quelques années que proche de Damiette on en prit un dont on conserve encore la peau. On en apporte de Nubie au Caire, mais par tranches. Je ne connais point l'animal, qui lui est opposé , et je ne pense pas qu'il soit connu en Égypte , où l'Hippopotame est d'ailleurs très rare. Je ne puis cependant m'imaginer que la nature , qui dans tous les pays du monde a pourvu aux besoins de chaque climat, et qui nulle part n'a produit le poison sans l'accompagner de son remède , ne lui ait pas fait naître un ennemi. L'ignorance où nous sommes de son existence n'est pas une raison de la combattre. Les choses les moins connues , et quelquefois les plus incroyables , ne font pas souvent les moins certaines.
...
Planche de l'article
Voir aussi
Une partie de cette lettre est reprise sur sur Wicri/Animaux