Annales de Géographie (1914) n. 129 pp. 278-281

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La France au Maroc. Le traité franco-espagnol. Les progrès de la pacification.


 
 


Cet article, tiré des Annales de Géographie, donne un témoignage de la vision des historiens et géographes français sur le Maroc en début du vingtième siècle.

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Titre
La France au Maroc. Le traité franco-espagnol. Les progrès de la pacification.
Auteur
Maurice Zimmermann
Dans
Annales de géographie, 1914, t. 23, n°129. pp. 278-281.
Disponible en ligne 
sur le site Persée
Consulté le 23 octobre 2011

L'article


    La France au Maroc. — Le traité franco-espagnol. — Les progrès de la pacification[1]. Une œuvre considérable occupation et de pacification s'est accomplie au Maroc depuis la proclamation du protectorat (30 mars 1912)[2] et depuis le débarquement à Casablanca du général Lyautey, nommé résident général (13 mai) à la suite des premières émeutes de Fez (12 avril)[3].

Tout d'abord, après de longues et épineuses négociations, la sphère d'action respective de la France et de l'Espagne dans l'empire Chérifien a été déterminée par une convention signée le 27 novembre 1912. Ce traité n'a fait que préciser l'accord du octobre 1904 qui représentait une sorte de projet de partage à longue échéance et qui avait déjà fixé, au moins dans leurs grandes lignes, les limites des zones Nord et Sud, d'avance réservées à l'Espagne. Travaillant sur cette base rigide, la France a cependant réussi à faire fléchir dans une certaine mesure les revendications opiniâtres de l'Espagne. C'est ainsi que, au Nord du Sebou, nous avons obtenu la plus grande partie du bassin de l'Ouerga, l'Espagne se réservant d'établir, à travers la portion de ce bassin qu'elle conserve, une ligne de communications de Melilla à Larache. D'un autre côté, la frontière, à l'Est de Fez, laisse à la France tout le couloir de Taza et rejoint directement la Moulouïa entre le Djebel Béni Hassen et un point situé au Nord de Moul el Bacha. L'Espagne garde ainsi dans sa zone d'action tout le Rif, sauf une partie denses versants méridionaux, et l'extrémité de la plaine du Gharb avec el Qsar el Kebir, Larache, Chechaouen, enfin le port de Tétouan. La ville d'Ouazzan reste dans la zone française. En un mot, la politique internationale reconnaît justement à l'Espagne ce massif étranger à l'Afrique du Nord, le Rif, qui n'est géologiquement que la continuation de l'Andalousie.

Le sultan entretient un khalifa, ou lieutenant, dans la nouvelle zone espagnole. Un régime spécial est fait à la ville de Tanger, qui, tout en continuant de faire fictivement partie de l'empire Marocain, est, avec sa banlieue, constituée à l'état de petite république internationale, administrée par un Conseil municipal et contrôlée par une Commission composée à la fois des consuls des puissances ayant signé l'acte d'Algésiras et du khalifa du sultan.Ce territoire neutre de Tanger a pour limites : à l'Ouest, la mer; au Sud, l'Oued Machar; à l'Est, une ligne qui atteint le détroit de Gibraltar à la Punta Altarès.

Sur la côte saharienne, nous avons réussi à ramener le territoire espagnol du Rio de Oro jusqu'au Sud de l'Oued Dra, moyennant la concession d'une enclave autour d'Ifni, qui a 100km de long et environ 30km de large. Ainsi la France garde le Tazeroualt et possède, entre Arbalou et Agadir, un accès suffisamment large sur l'Océan.

Parmi les complications d'intérêts qui rendent le traité franco-espagnol assez délicat à appliquer, la plus notable est celle du chemin de fer de Tanger à Fez, pour lequel il est stipulé que la Compagnie unique qui le construira sera constituée avec un capital français pour les soixante centièmes et espagnol pour le reste.

La pacification a marché très vite; l'œuvre accomplie en deux années au Maroc est aussi considérable, sinon davantage, que les progrès de l'occupation française en Algérie de 1830 à 1845. Parmi les nombreuses raisons qu'on a pu invoquer de cette résistance comparativement: moindre du Maroc: application d'une méthode rigoureuse, volonté nette d'occuper systématiquement le pays, emploi de moyens d'action matériels perfectionnés, il en est une de caractère géographique qui tient au peuplement du pays, et qu'on parait négliger : c'est la faible importance des populations franchement nomades au Maroc. L'organisation de troupes aussi mobiles et insaisissables que celles avec lesquelles Abd el Kader nous tint en haleine, entre 1839 et 1847, n'était guère possible dans l'empire Chérifien. Toute conquête y affecte de prime abord un caractère de solidité, qui rappelle ce qui s'est passé pour la Kabylie et pour l'Aurês, malgré les insurrections, vite réprimées, de 1871 et 1877.

Voici quelles ont été les étapes de cette occupation du Maroc. Dans le Maroc algérien, le principal effort a tendu à se rapprocher prudemment de Taza ; le front de nos troupes, arrivé à la Moulouïa en mai 1912, s'est avancé jusqu'à Guercif, puis à la kasba Msoun (11 mai 1913), à 30km à l'Est de Taza. La construction d'un chemin de fer Decauville affermissait ces étapes, et l'on apprenait, il y a quelques semaines, que la locomotive était arrivée à la kasba Msoun. Le contact est pris depuis bientôt une année avec les farouches tribus insoumises qui barrent l'unique voie d'accès naturelle et historique entre l'Algérie et le Maroc[4] : les Riata, les Béni Ouaraïn, les Haouara, les Béni bou Yahi.

Du côté Atlantique, il fallait d'abord affermir la route d'étapes entre Fez et la mer, route sans cesse menacée par les incursions des tribus des Béni Mguild et des Béni Mtir, et surtout des puissantes confédérations des Zaïan, des Zaër et des Zemmour; mais on dut avant tout dégager les abords de Fez, attaquée et véritablement assiégée (25-28 mai 1912) par une imposante coalition des montagnards d'alentour. Cette tache fut accomplie peu à peu par les généraux Gouraud et Dalbiez et par le colonel Henrys. A l'heure actuelle, la soumission des énergiques Berbères qui habitent le revers Nord-Ouest du Moyen Atlas est assurée.

D'autre part une avancée, parallèle à la marche en venant de la Moulouïa, s'est poursuivie dans le couloir de Taza, mais toujours avec une extrême prudence. Le front d'occupation s'est maintenu un an à Souk el Arba de Tissa, à 50km de Taza. Puis nos troupes prononcèrent un mouvement en avant, établirent un camp à Zrarka, à 18km de Souk el Arba, et repoussèrent les violentes attaques des Riata, des Tsoul, des Branes (25-29 mars 1914). L'heure était venue de renverser la mince barrière qui isolait encore l'Algérie du Maroc et d'occuper Taza. Le général Lyautey faisait part au sultan des instructions qu'il donnait « pour ouvrir les communications entre les deux parties de l'Empire », et exprimait « l'espoir que Sa Majesté pourrait bientôt se rendre de Fez à la Moulouïa ». Le général Baumgarten vient d'occuper Taza (10 mai 1914).

Dans le Sud Marocain, l'occupation française a été hâtée par le dangereux soulèvement de El Hiba, marabout ayant des prétentions au titre de mahdi et héritier, contre France, de l'hostilité de son père Ma el Aïnin (juillet-septembre 1912). Pour délivrer sept de nos compatriotes, retenus captifs dans Marrakech, le général Mangin accourut à marches forcées et, après l'important combat de Sidi bou Othman, qu'on a pu comparer, pour l'importance des forces engagées, a la bataille de l'Isly, il occupait Marrakech et en chassait El Hiba (5-7 septembre 1912). Cet événement a été le prélude de l'occupation méthodique de la plaine du Haouz, des avant-monts de l'Atlas et du Sous : prise de la kasba d'Anflous, 24-26 janvier 1913; campagne du Tadla et soumission des Zaïan, avril-juin 1913; mai et juin, occupation de Taroudant et d'Agadir, fuite d'El Hiba dans l'Anti-Atlas.

La méthode employée pour pacifier le Maroc n'a été que l'application des principes qui avaient valu de si grands succès au général Gallieni au Tonkin et à Madagascar, et quelle général Lyautey avait lui-même perfectionnés dans le Sud malgache et dans le Maroc oriental : emploi systématique de forces imposantes comportant de gros postes fixes et de fortes colonnes très mobiles permettant, suivant la formule du général Lyautey de « manifester la force pour en éviter l'emploi » responsabilité et initiative très étendue laissées aux chefs militaires, emploi simultané des armes et de la diplomatie égard de l'adversaire.

En somme il a suffi de ces deux années pour établir administration militaire française sur tout l'ancien pays makhzen ; d'une façon générale, la plaine est occupée et dans le Haut Atlas occidental, nous tenons les cols et vallées accès sur le Sous jusqu'à l'Ouest de Demnat.


  1. Les éléments de ces notes sur le Maroc ont été puisés pour la plus grande partie dans l'Afrique Française et La Quinzaine Coloniale de 1912 à 1914. 1914 — Consulter la belle carte publiée l'an dernier par H. Barrère Maroc, carte dressée sous la direction de Henri Barrère. Éditeur Géographe, Paris 1913, 4 feuilles à 1 : 1000 000, avec 2 cartons : plan de Fez et de Marrakech [à 1 : 30 000 env.] ; — Notice sur la construction de la carte et Index Bibliographique précédés une Vue d'ensemble sur le Relief du Maroc par Louis GENTIL. Paris Henry Barrère 1913 in-8, 48 p., 2 fig. croquis (carte et notice, 12 fr.) ; — voir aussi le Numéro spécial sur le Maroc (Rev. générale des Sciences, XXV 15 avril 1914, p. 291-400, 61 fig. phot. diagr. cartes et plans : 2 fr 50)
  2. Voir Annales de Géographie, XXI, 1912, p. 280 et suiv.
  3. Voir Augustin Bernard. Le Maroc [Bibliothèque d'histoire contemporaine] (Paris, Libr. Féix Alcan, 1912, I-8, VIII + 412 p., 2p. cartes ; 5 fr). p. 380 et suiv.
  4. Sur le fameux couloir entre le Rif et l'Atlas, voir le rapport rédigé, en janvier 1914, par le lieutenant Lafaye, chef de bureau du cercle de Msoun : La trouée de Taza (Renseignement col. et Documents Comité Afr. Fr. et Comité Maroc, XXIV, n° 2, février 1914, p. 41-55, 3 fig. carte [à 1: 200 000] et phot.)

Compléments

Localisations

La carte de droite donne la localisation de quelques localités citées dans l'article.

  • L'enclave d'Ifni entoure la ville de Sidi Ifni,
  • L'orthographe actuelle de « Sidi bou Othman » est « Sidi Bou Othmane »

Les protectorats

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La carte de droite donne une vision des protectorats en 1912.

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